Attendu depuis fort longtemps, l’arrêté ministériel du 4 juin 2021, publié au JO du 27 juin, fixe les critères de sortie de statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement.
Contexte
En France, les déchets de BTP représentent plus de 200 millions de tonnes par an, dont 70% de terres et 30% de gravats. Lorsqu’ils sont déplacés « hors site », ces terres ou gravats deviennent des déchets. Cela va de pair avec des contraintes juridiques (responsabilité du producteur, traçabilité) et fiscales (TGAP), une image négative – celle du déchet -, et un certain coût de gestion.
Pour mémoire, par « hors site », il faut comprendre en dehors de l’emprise foncière d’une ICPE. Dans les autres cas, le site correspond à « l’emprise foncière, constituée de parcelles proches, comprise dans le périmètre d’une opération d’aménagement ou de génie civil ou sur laquelle sera réalisée une opération de construction faisant l’objet d’un même permis d’aménagement ou faisant l’objet d’un même permis de construire » (voir la note d’explication du Ministère sur la nomenclature des installations de gestion et de traitement de déchets, 10 déc. 2020).
Cette qualité de déchet des terres excavées (ou TEX) n’est plus une fatalité. Nous observions dans un article publié au Moniteur en mars 2019 que le dispositif de SSD rencontrait un succès mesuré. Pour autant, comme de nombreux autres déchets trouvant leur place dans une économie circulaire (ex. bois d’emballage, déchets graisseux et huiles alimentaires, déchets de produits chimiques et prochainement les déchets de papier et carton triés), les terres excavées et les sédiments ont désormais leurs critères techniques pour redevenir des produits… qui restent réglementés!
Ce texte est l’aboutissement de longues discussions puisque l’on parle de la SSD pour les TEX depuis 2014… Les discussions achoppaient à l’époque sur les analyses à réaliser et les conditions de stockage des déchets. L’arrêté du 4 juin 2021 a fait l’objet d’une consultation publique au printemps 2019 (voir notre post à ce sujet) avant d’être publié deux ans plus tard…
Les cinq conditions techniques posées par l’arrêté
Il faut d’abord rappeler que la loi pose 4 critères cumulatifs pour voir un déchet sortir de ce statut (après avoir subi une opération de valorisation, notamment de recyclage ou de préparation) (cf art. L.541-4-3 c. env.) :
- la substance ou l’objet est utilisé à des fins spécifiques ;
- il existe une demande pour une telle substance ou objet ou elle répond à un marché ;
- la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ;
- son utilisation n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.
L’arrêté « SSD TEX » du 4 juin 2021 pose quant à lui 5 conditions, essentiellement pour répondre à l’exigence 4 ci-dessus:
a. les déchets doivent appartenir à une des 5 catégories suivantes (terres et cailloux contenant des substances dangereuses ou non, boues de dragage contenant des substances dangereuses ou non, terres et pierres). Les ballast de voies de chemin de fers, envisagés dans une version intermédiaire, n’ont pas été retenus.
b. Les déchets répondent aux « exigences définies par les guides publiés sur le site officiel du ministère chargé de l’environnement« , c’est-à-dire les guides suivants :
- guide sur l’acceptabilité de matériaux alternatifs en techniques routières – Évaluation environnementale (CEREMA -ex-SETRA- 2011)
- guide de valorisation hors site des terres excavées issues de sites et sols potentiellement pollués dans des projets d’aménagement (DGPR – 2020)
- guide de valorisation hors site des terres excavées non issues de sites et sols pollués dans des projets d’aménagement (DGPR – 2020)
Par parenthèse, notre expérience montre que cela ne va pas sans difficulté quand les guides, qui deviennent ainsi opposables1, posent des conditions de principe trop rigides. Par exemple, les deux derniers guides interdisent la valorisation des TEX sur un site receveur si les substances polluantes caractérisées au sein des TEX présentent des teneurs supérieures ou égales à celles du site receveur. C’est la condition de l’équivalence avec le fond pédo-géochimique. Lorsque des terres excavées, celles du Grand Paris par exemple, présentent naturellement des teneurs en éléments métalliques supérieures à celle du site receveur, cela fait obstacle à la valorisation – et maintenant à la SSD – alors même que le site receveur peut être très pollué – sur d’autres paramètres comme les hydrocarbures – et alors même que les métaux présents naturellement dans les TEX ne sont pas ou peu mobilisables par lixiviation, autrement dit sans impact sur le site receveur et l’environnement!
c. Un contrat de cession doit avoir été signé entre la personne ayant préparé les déchets en vue de la SSD et l’aménageur, contrat relativement bien cadré par l’arrêté ministériel mais qui devra être rédigé avec soin.
d. la personne réalisant la préparation des déchets doit appliquer un système de gestion de la qualité couvrant les processus de contrôle des critères de sortie du statut de déchet (cf. arrêté du 19 juin 2015 relatif au système de gestion de la qualité mentionné à l’article D. 541-12-14 du code de l’environnement)
e. La personne réalisant la préparation en vue de la SSD doit encore :
- présenter une attestation de conformité, à transmettre à l’utilisateur de chaque lot de TEX;
- garantir la traçabilité de chaque lot de TEX pendant 10 ans (cf. également le décret n° 2021-321 du 25 mars 2021 relatif à la traçabilité des déchets, des terres excavées et des sédiments);
- mettre en œuvre plusieurs procédures de contrôle ou d’auto-contrôle (à l’admission, lors de préparation sur les matériaux sortant, incluant un contrôle par un organisme tiers agréé).
Pour mémoire, depuis un décret n° 2021-380 du 1er avril 2021 relatif à la sortie du statut de déchet, la SSD peut se faire hors ICPE ou installation IOTA (càd autorisée au titre de la loi sur l’eau). Cela reste néanmoins, au vu de ce qui précède, une opération lourde qui ne se justifie que si elle présente un intérêt économique avéré.
Note 1 : Ces guides techniques, que l’on peut sans doute qualifier de « lignes directrices », sont opposables aux intéressés lorsqu’aucune particularité de leur situation ou aucun motif d’intérêt général ne justifie de s’en écarter (v. not. Section, 18 novembre 1977, Société anonyme Entreprise J. Marchand, n° 00619, Rec. p. 442 av. les concl. du pt. Franc ; 23 mai 1980, Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, n° 13433, Rec. p. 238) (cf. conclusions de G. Oudinet sous CE 12 juillet 2020, GISTI, 418412).
En sens inverse, si elles ont été publiées, elles sont invocables par les intéressés lorsque l’autorité s’en est écartée, ce qu’elle ne peut légalement faire qu’en considération d’une particularité de leur situation ou d’un motif d’intérêt général (v. not Section, 4 février 2015, Ministre de l’intérieur c/ M. C… O…, n°s 383267 383268, Rec. p. 17 av. les concl. de B. B… -Machureau) (cf ibid).
Le préfet devrait pouvoir y déroger « lors de l’examen individuel de chaque demande si des considérations d’intérêt général ou les circonstances propres à chaque situation particulière le justifient » (en ce sens, CE 19 septembre 2014 Jousselin n°364385).
L’illégalité d’une décision fondée sur ces guides sera discutable à l’occasion d’un recours contre un refus d’autorisation. Le juge exerce cependant un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (CE 16 avril 20210, Postel vinay, n°305649).