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Remise en état d’une ICPE : l’acquéreur pourrait se substituer au dernier exploitant à travers l’acte de vente

Installation classée, Sols pollués

Il nous faut revenir sur cet arrêt du Conseil d’Etat société Akzo Nobel UK (CE 29 juin 2018, n° 400677 – mentionné aux tables) pour partager notre perplexité face à considérant de principe assez innovant :

2. Considérant qu’en vertu des dispositions de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, reprises aux articles L. 511-1 et suivants du code de l’environnement, dans leur rédaction alors en vigueur, l’obligation de remise en état du site prescrite par les articles R. 512-39-1 et suivants du même code pèse sur le dernier exploitant ou son ayant droit ; que le propriétaire du terrain d’assiette de l’exploitation n’est pas, en cette seule qualité, débiteur de cette obligation ; qu’il n’en va autrement que si l’acte par lequel le propriétaire a acquis le terrain d’assiette a eu pour effet, eu égard à son objet et à sa portée, en lui transférant l’ensemble des biens et droits se rapportant à l’exploitation concernée, de le substituer, même sans autorisation préfectorale, à l’exploitant ; (nous soulignons)

Autrement dit, l’acte de vente peut avoir pour effet de transférer du dernier exploitant au propriétaire l’obligation de remise en état et ce « même sans autorisation préfectorale ». On serait face à une sorte d’alternative à la procédure de tiers demandeur, très encadrée par le préfet et bien plus longue à mettre en oeuvre, mais aboutissant au même résultat : le préfet pourrait rechercher la responsabilité de l’acquéreur/propriétaire en cas de défaillance de ce dernier dans la remise en état. Reste à savoir comment et avec qui le préfet déterminera l’usage futur dans cette hypothèse (le dernier exploitant ou l’acquéreur du site?) et à déterminer si, à l’instar de la procédure de tiers demandeur, le dernier exploitant conservera une responsabilité subsidiaire en cas de défaillance de l’acquéreur (a priori non, en l’absence de textes).

Cette décision pose beaucoup de questions et ce ne sont pas les conclusions du rapporteur public, Mme Julie Burguburu, qui  pourront nous éclairer. Elle proposait en effet de retenir l’approche classique, mais n’a pas été suivie :

S’agissant enfin de la notion d’exploitant, il s’agit bien du titulaire de l’autorisation liée à l’installation, sachant que tout changement d’exploitation est soumis à une procédure d’autorisation préfectorale, la circonstance qu’un contrat confie à un tiers l’exploitation étant sans influence sur cette qualification (29 mars 2010 n° 318886, Communauté de communes de Fécamp, aux tables p. 864 et 24 mars 1978 n° 01291, Sté « la Quinoléine et ses dérivés » aux tables également p. 155).

Le plus étonnant est qu’au paragraphe 6 de l’arrêt, le Conseil d’Etat ajoute que « l’administration ne pouvait se prévaloir du contrat de vente de droit privé conclu par la société Courtimmo SA avec la SARL Pontimmo, acquéreur des terrains ». Alors le Conseil d’Etat pose-t-il ou non une exception au principe classique et essentiel selon lequel les contrats de droit privé ne sont pas opposables à l’administration?

On avoue rester très perplexe devant ce qui semble être une position contradictoire. Si la substitution opérée par l’acte de vente (« même sans autorisation préfectorale ») n’est pas opposable à l’administration, alors celle-ci ne pourra bel et bien rechercher que le dernier exploitant (sauf propriétaire négligeant, responsable en qualité de détenteur des déchets – sur ce point, le Conseil d’Etat se contente, au paragraphe 3, de rappeler sa jurisprudence – expliquée ici).

Au cas d’espèce, le juge observe que la Cour a pu juger que

si, par un courrier du 30 novembre 1998, le groupe Akzo Nobel a fait connaître au préfet que « AKZO Nobel UK a acquis le groupe Courtauld plc (…) » et que « Akzo Nobel devient ainsi le propriétaire des anciennes décharges du site Courtaulds à Coquelles et par conséquent des servitudes y afférant », une telle déclaration ne pouvait être regardée comme un acte par lequel le groupe Akzo Nobel ou l’une de ses sociétés se serait substitué à l’ancien exploitant ;

En aurait-il été autrement si la société Akzo Nobel avait fait valoir davantage de responsabilités dans la remise en état, suivant l’arrangement convenu dans l’acte de vente? Il est permis d’en douter si l’on retient que l’administration « ne pouvait se prévaloir du contrat de vente de droit privé ». Ou alors peut-être faut-il comprendre que seul l’acquéreur est à même d’opposer ses nouvelles responsabilités contractuelles à l’administration – une opposabilité à sens unique…

Pour notre part, devant les questions laissées sans réponse par cet arrêt Akzo Nobel, nous préférons retenir qu’une substitution en bonne et due forme du dernier exploitant par l’acquéreur ne peut résulter que de la mise en oeuvre de la procédure de tiers demandeur, que nous pratiquons (cf. quelques conseils ici) et qui fonctionne.

> CE 29 juin 2018, Société Akzo Nobel UK, n° 400677 (bizarrement, la décision n’est que partiellement reproduite sur legifrance)