Alors que le foncier urbain se fait de plus en plus rare et onéreux, les opérations de reconversion de friches industrielles sont en constante augmentation, tant à travers l’initiative publique que privée (Etat, collectivités locales, opérateurs immobiliers).
Dans ces opérations qui impliquent des investissements lourds, il est important de bien cerner les responsabilités de chacun des acteurs en matière de remise en état des sites et sols pollués : ancien exploitant industriel, propriétaire, aménageur…
La cadre juridique n’est pas des plus simples puisque plusieurs autorités publiques sont susceptibles d’intervenir : le préfet en application de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ; le maire en application de la police des déchets ou de l’urbanisme. Sur le terrain, les situations sont par ailleurs très variables : déchets en surface et/ou sols pollués ; dernier exploitant industriel connu ou non, solvable ou non ; propriétaire plus ou moins impliqué dans la pollution ; site « orphelin », etc.
Au regard de la convergence des récentes décisions du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, il devient possible d’établir une typologie des responsabilités en fonction des situations. Où l’on constate que le principe pollueur-payeur constitue le fil conducteur.
Prenons d’abord le cas classique d’un exploitant mettant définitivement fin à ses activités industrielles (1). Voyons ensuite dans quels cas les personnes autres que le dernier exploitant peuvent se voir imposer des obligations par les pouvoirs publics, et lesquelles (2).
1. En cas de fermeture d’un site industriel, responsabilité de l’exploitant
La règle est simple : lorsqu’une ICPE est définitivement mise à l’arrêt, la charge de la remise en état incombe au dernier exploitant ou, s’il a disparu, à son ayant droit, et ce pendant la durée de prescription de droit commun : trente ans[1]. L’exploitant s’entend naturellement du titulaire de l’autorisation d’exploiter[2] et non des actionnaires de la société détentrice de ladite autorisation[3].
La remise en état vise à prévenir l’ensemble des risques environnementaux, qu’ils soient liés aux déchets ou au sol pollué. Le niveau de dépollution exigé est fonction de l’usage futur du site, déterminé conjointement avec le maire (ou le président de la collectivité de communes) et, s’il ne s’agit pas de l’exploitant, avec le propriétaire du terrain. A défaut d’accord, la dépollution est calibrée sur la base d’un usage comparable au dernier usage industriel. Toutefois, si cet usage est incompatible avec les documents d’urbanisme en vigueur, le préfet peut imposer au dernier exploitant des mesures de réhabilitation plus contraignantes.
Ces règles valent pour les ICPE soumises à autorisation[4] ou enregistrement[5]. Par exception, pour les installations soumises à déclaration (les moins polluantes), la seule référence retenue est l’usage comparable au dernier usage industriel[6].
En cas de défaillance, l’administration peut se substituer d’office et à ses frais au débiteur de l’obligation[7].
En cas d’insolvabilité du dernier exploitant, sa maison mère est susceptible d’être recherchée, mais dans des conditions très particulières : une procédure de liquidation judiciaire doit être ouverte à l’encontre de ce dernier et il doit est prouvé que la maison mère a commis une « faute caractérisée » contribuant à l’insuffisance d’actifs de la filiale[8].
En cas de changement ultérieur de l’affectation des terrains, les éventuelles mesures de dépollution complémentaires sont à la charge de celui qui en a l’initiative (propriétaire, aménageur, collectivité publique, etc.).
Enfin, lorsque le site pollué n’a jamais accueilli d’installation classée, ce qui est fréquent, les pouvoirs publics sont relativement démunis. Outre la police des déchets (voir ci-après), le maire peut invoquer ses pouvoirs en matière d’urbanisme : il peut accorder le permis de construire demandé moyennant des prescriptions spéciales visant à réduire les risques sanitaires pour les futurs occupants[9]. Mais un tel encadrement demeure précaire et peu adapté à des situations complexes.
2. En cas d’abandon de déchets sur le site, responsabilité du producteur ou du détenteur des déchets
A côté du préfet compétent en matière d’installations classées, le maire est compétent en matière de police des déchets[10]. A ce titre, il peut mettre en demeure le producteur ou le détenteur des déchets de les évacuer et de veiller à leur élimination ou valorisation finale dans des conditions respectueuses de l’environnement[11]. En cas de défaillance, le maire peut se substituer d’office et à ses frais au débiteur de l’obligation[12].
Toute la question est de savoir (i) qui peut être visé à travers ces pouvoirs de police (ancien exploitant, propriétaire, aménageur ?) et (ii) ce que l’on peut viser (déchets meubles, sol pollué ?).
(i) Qui est le producteur ou détenteur des déchets ?
Selon l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, le producteur de déchets s’entend de la personne qui produit ou traite des déchets ; le détenteur de déchets est quant à lui défini comme « le producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ».
L’exploitant d’une ICPE peut ainsi être qualifié de producteur de déchets, de même que l’ancien exploitant[13]. En revanche, l’ancien détenteur qui n’a pas la qualité de producteur ne peut être recherché par le maire parce qu’il n’est plus en possession des déchets[14]. Sa responsabilité civile peut toutefois être mise en jeu s’il a contribué au dommage[15].
A raison du pouvoir de contrôle qu’il exerce sur le terrain et ses déchets, le promoteur, l’aménageur public ou privé ou l’occupant d’un terrain est susceptible d’être regardé comme détenteur de ces déchets et, par suite, tenu d’en assurer l’élimination[16].
Enfin, le propriétaire pris en cette seule qualité peut être recherché comme détenteur, mais à titre subsidiaire seulement. Pour le Conseil d’Etat en effet, « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain »[17].
Dans ces affaires, le dernier exploitant étant connu (mais pas nécessairement solvable), le maire ne pouvait pas mettre en demeure le propriétaire non négligent. Cette condition supplémentaire liée à la négligence du propriétaire doit être soulignée, même si l’utilisation du terme « notamment » laisse planer une légère incertitude juridique quant aux motifs qui pourraient justifier la responsabilité du propriétaire.
La position de la Cour de cassation parait très proche : « en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement (…) à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance »[18].
Elle semble cependant moins protectrice du propriétaire dans la mesure où, compte tenu des faits de l’espèce, « l’absence de tout autre responsable » doit être comprise non seulement dans l’absolu (absence de détenteur connu comme pour le Conseil d’Etat), mais également de façon relative (le détenteur étant connu mais insolvable, il n’y a pas d’autre responsable).
En pratique, dans le doute quant à la solvabilité du tout autre détenteur, il est donc recommandé au propriétaire d’un site sur lequel sont abandonnés des déchets de tout mettre en œuvre pour démontrer d’une part, qu’il n’avait aucun pouvoir de contrôle sur le terrain en général et les déchets en particulier ; d’autre part, qu’il n’a commis aucune négligence à l’égard des déchets abandonnés (il pourra par exemple déposer une plainte contre l’ancien exploitant ou l’assigner au civil puis en informer le maire en précisant qu’il est totalement étranger à cet abandon).
Il n’est pas inutile de prévenir le préfet également puisqu’il peut intervenir sur le fondement de la police des déchets en cas de carence du maire[19].
Par ailleurs, si le producteur ou le détenteur des déchets ne peut être identifié ou s’il est insolvable (site « orphelin »), l’Etat peut confier la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
(ii) Le sol pollué n’est plus un déchet
La portée de l’obligation de remise en état d’un site pollué au titre de la police des déchets s’apprécie évidemment à la lumière de ce qu’est ou n’est pas un déchet.
La définition du déchet a varié dans le temps et suivant une jurisprudence très fluctuante[20]. Si la CJCE ou le Conseil d’Etat ont pu juger que le sol pollué non excavé pouvait être qualifié de déchet[21], la directive 2008/98 l’a expressément exclu. Depuis décembre 2010, le code de l’environnement prévoit que sont exclus de la législation relative aux déchets « les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés au sol de manière permanente »[22].
La « remise en état du site » prescrite sur le fondement de la police des déchets ne peut donc concerner que les biens meubles abandonnés sur le terrain (produits chimiques en fûts, cuves en surface, pneus, etc) à l’exclusion des sols pollués. C’est une différence fondamentale entre les pouvoirs du maire et ceux du préfet
[1] CE Ass., 8 juillet 2005, Sté Alusuisse Lonza France, n° 247976
[2] CE 29 mars 2010, Communauté de communes de Fécamp, n° 318886
[3] CAA Paris 17 octobre 2003, Sté Fayolle et fils, n° 99PA03797
[4] art. L. 512-6-1 du code de l’environnement (c. env.)
[5] art. L. 512-7-6 c. env.
[6] art. L. 512-12-1 c. env.
[7] art. L. 514-1 c. env.
[8] art. L. 512-17 c. env.
[9] art. R. 111-2 du code de l’urbanisme
[10] art. L. 541-3 et L. 541-4 c. env.; CE, 18 nov. 1998, Jaegger, n° 161612 ; CE, 17 nov. 2004, Société Générale d’Archives, n° 252514
[11] art. L. 541-1 et L. 541-2 c. env.
[12] art. L. 541-3 c. env.
[13] Pour une illustration, CE 1er mars 2013, M. B., n° 348912
[14] CAA Lyon, 19 juin 2012, Sté transports Garnier, n° 11LY02236
[15] Cf. CE 10 avril 2009, Cne de Batz-sur-Mer, n° 304803, cas du naufrage de l’Erika
[16] CE 23 novembre 2011, Sté MODEV, n° 325334 pour un aménageur également propriétaire
[17] CE 26 juillet 2011, Cne de Palais-sur-Vienne, n° 328651, arrêt dit « Wattelez II », confirmé par CE 1er mars 2013, Sté Natiocrédimurs, n° 354188
[18] Cass. civ. 3, 11 juillet 2012, n° 11-10478
[19] CE 11 janvier 2007, Sté Barbazanges Tri Ouest, n° 287674
[20] Elle figure aux articles L. 541-1-1 ; L. 541-4-1 ; L. 541-4-2 (définition du sous-produit) et L. 541-4-4 (fin de statut du déchet)
[21] CJCE, 7 septembre 2004, Van de Walle, C-1/03 ; CE 23 novembre 2011, sté MODEV précité
[22] art. L. 541-4-1 c. env.