Le 14 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a adopté, à demi-mot, une décision qui constitue progrès significatif pour la mise en oeuvre du principe de participation du public aux décisions réglementaires ayant une incidence sur l’environnement. Cette décision pourrait avoir des répercussions plus importantes qu’il n’y parait.
La brève précédente portait déjà sur ce principe. Cette fois, c’est l’association France Nature Environnement qui a posé une Question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion d’un recours devant le Conseil d’Etat, recours tendant à l’annulation de dispositions issues de l’ordonnance du 11 juin 2009 relative au régime de l’enregistrement en matière d’ICPE. Le Conseil d’Etat, jugeant la question sérieuse, l’a transmise au Conseil constitutionnel.
Les dispositions critiquées étaient les suivantes :
- « les projets de décret de nomenclature concernant les installations enregistrées font l’objet d’une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur des installations classées » (dispositions codifiées à l’art. L. 511-2 du code de l’environnement)
- Concernant ces mêmes installations classées E, « les projets de prescription générale font l’objet d’une publication , éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur des installations classées » (art. L. 512-17 paragraphe III du code de l’environnement).
L’association reprochait à ces dispositions législatives de ne prévoir de publication des projets de textes que pour les installations classées E, oubliant les installations soumises à autorisation et celles soumises à déclaration. Autrement dit, elle reprochait au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence au regard des prévisions de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement« .
Au-delà de cet oubli (ultérieurement corrigé par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, pour ce qui concerne l’article L. 511-2), elle soutenait que la simple publication du projet de texte, prévu par les dispositions critiquées, était insuffisante pour satisfaire aux exigences de participation prévue par la Charte.
Sans surprise, le Conseil constitutionnel a admis que, dans la rédaction qui lui était soumise, aucune publication n’était prévue pour les installations autorisées ou déclarées. Il a ajouté, de façon sibylline, qu’ « en outre, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’assurent la mise en oeuvre du principe de participation à l’élaboration des décisions publiques en cause; que par suite, en adoptant les dispositions contestées dans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence« .
Il a reporté au 1er janvier 2013 la date d’abrogation des dispositions contestées, laissant ainsi au Parlement le temps de remédier à cette inconstitutionnalité. Mais quelle est précisément la portée de cette inconstitutionnalité? Le complément apporté par la loi du 17 mai 2011 est-il suffisant?
Il faut pour y voir plus clair se référer au commentaire de sa propre décision par le Conseil, en ligne sur son site internet (de même que l’audience filmée!). Le Conseil précise qu’il a « implicitement jugé que la publication des projets constitue une condition nécessaire du principe de participation. Toutefois, elle n’en constitue pas une condition suffisante et l’existence d’une publication ne suffit pas à assurer la reconnaissance du recueil des observations du public. Il appartient au législateur de prévoir le principe de la participation du public, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce, quitte à ce que les modalités d’application de ce principe soient précisées par voie réglementaire« .
On comprend donc que « publication n’est pas participation » au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Cette décision attire notre attention sur le nouvel article L. 120-1 du code de l’environnement, issu de la loi grenelle II, lequel prétend explicitement mettre en oeuvre ledit article 7 en matière de décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics. On y lit les prévisions suivantes :
« I. ― Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu’elles ont une incidence directe et significative sur l’environnement. Elles font l’objet soit d’une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, selon les modalités fixées par le II, soit d’une publication du projet de décision avant la saisine d’un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, selon les modalités fixées par le III. »
Force est de constater, à la lumière de la décision commentée, que cet article « novateur » n’est pas conforme à l’article 7 de la Charte, pour deux raisons.
1/ d’abord, il ne s’applique qu’aux décisions « ayant une incidence directe et significative sur l’environnement », conditions particulières que ne prévoit pas l’article 7. Dans la décision commentée, le Conseil a retenu l’applicabilité de l’article 7 au seul motif que les dispositions critiquées « constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Notons au passage que l’article 7 va plus loin que la convention d’Aarhus, qui limite la participation aux décisions réglementaires « qui peuvent avoir un effet important sur l’environnement » (art. 8).
2/ ensuite et surtout, s’agissant des modalités de la participation, l’article L. 120-1 n’est pas plus ambitieux que les dispositions annulées par le Conseil : il ne prévoit que la publication du texte, sans mécanisme contradictoire par lequel le public pourrait avoir connaissance des réponses de l’autorité à ses observations, à ses objections.
L’avenir de l’article L. 120-1, qui attend toujours son décret d’application en Conseil d’Etat (!), parait donc bien sombre.
Aujourd’hui, alors même que le décret d’application de l’article L. 120-1 se fait toujours attendre, le gouvernement propose régulièrement au public de « participer » à l’élaboration des textes réglementaires en les publiant sur le site internet du ministère (ex: projet de décrets et d’arrêtés sur les garanties financières des ICPE, projet de décret sur la Charte des parcs nationaux). Les modalités de participation sont réduites à leur plus simple expression : une adresse email d’un fonctionnaire est indiquée pour adresser les observations. Nul ne saura si sa contribution a été lue et prise en compte.
La décision commentée démontre que cette situation n’est plus tenable. Le gouvernement doit faire mieux en matière de participation du public aux décisions réglementaires ayant une incidence sur l’environnement, sous peine de voir son article L. 120-1 sanctionné à son tour par le Conseil constitutionnel.