L’arrêt du 25 septembre 2012, rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans sa formation plénière met fin à 13 années de procédure. La Cour de cassation signe là un grand arrêt, par la taille (319 pages), mais surtout par ses apports, en substance au nombre de trois :
1. Contre l’avis de son avocat général, la Cour de cassation confirme la compétence des juridictions pénales françaises en matière de répression des faits de pollution commis au-delà des eaux territoriales (12 miles marins, soit 22 km). L’attendu de la Cour est très clair :
par application combinée des articles 220 point 6 et 228 de cette dernière convention [Convention des Nations Unies sur le droit de la mer faite à Montego Bay le 10 décembre 1982 (CNUDM)], lorsque des poursuites ont été engagées par l’Etat côtier en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, la compétence de cet Etat est acquise lorsqu’elle porte sur un cas de dommage grave (p. 107 de l’arrêt)
Il résulte de l’article 220 point 6 que la compétence de l’Etat côtier s’étend à l’ensemble des pollutions survenues dans la zone économique exclusive (soit jusqu’à 200 miles des côtes, environ 370 km). Au-delà, dans les eaux internationales, sa compétence ne sera pas reconnue, sauf si le navire bat pavillon de l’Etat côtier en cause.
2. Alors que la Cour d’appel de Paris avait écarté la responsabilité civile de la société Total SA (affréteur du navire), la Cour de cassation confirme la condamnation retenue par le TGI de Paris le 16 janvier 2008.
Pour mémoire, la Cour d’appel avait considéré que la société Total SA n’a pas disposé des éléments d’information suffisants pour s’opposer à l’appareillage du navire avant son naufrage et que seule une négligence a été commise dans la procédure de « vetting », sans conscience de la probabilité d’un dommage par pollution.
Pour sa part, la Cour de cassation a jugé comme suit :
Attendu qu’il résulte des deux premiers de ces textes [articles III point 4 et V point 2 de la Convention CLC 69/92] qu’une demande de réparation de dommage par pollution peut être formée contre le propriétaire du navire ainsi qu’à l’encontre des autres personnes qui y sont énumérées lorsque le dommage a été commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement (p. 315)
Après avoir rappelé la position de la Cour d’appel, elle poursuit :
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que les constatations de fait, souverainement appréciées par la cour d’appel, caractérisaient une faute de témérité, au sens de la Convention CLC 69/92, à la charge de la société Total SA, et qu’il en résultait que son représentant avait nécessairement conscience qu’il s’ensuivrait probablement un dommage par pollution, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé (p. 316)
L’arrêt d’appel est donc cassé sur ce point (sans renvoi, en application de l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire).
3. Le préjudice écologique est reconnu par la plus haute juridiction judiciaire et défini comme une « atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ».
Du point de vue du raisonnement juridique, on restera un peu sur notre faim. Le sujet est en effet « expédié » en quelques lignes :
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et a ainsi justifié l’allocation des indemnités propres à réparer le préjudice écologique, consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction
Pour mémoire, la Cour d’appel l’avait défini comme « toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel, à savoir, notamment, à l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments, qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime ». La définition de la Cour de cassation, beaucoup plus concise, présente cependant un caractère plus restrictif : l’atteinte à l’environnement doit découler d’une infraction. Il n’y aurait donc préjudice écologique réparable que si les faits incriminés ont fait l’objet d’une condamnation par le juge pénal, comme ce fut le cas dans l’affaire de l’Erika. Autrement dit, ce n’est qu’au prix d’un long et coûteux procès que le préjudice écologique pourra être indemnisé.
Plusieurs questions restent posées :
- Qui peut prétendre à l’indemnisation du préjudice écologique, dont la particularité est justement de n’avoir affecté directement aucune personne physique ou morale?
La Cour d’appel, confirmée en cela par la Cour de cassation, a indemnisé les collectivités locales (communes, départements et régions) et quelques associations. Mais une association, qui ne représente que l’intérêt collectif de ses membres – par opposition à l’intérêt général, incarné par l’Etat et les collectivités territoriales-, peut-elle légitimement recevoir des sommes considérables au titre du préjudice écologique, alors même que le droit français interdit l’affectation des dommages et intérêts?
- Comment calculer le montant de l’indemnisation due? Autrement dit, quel prix donner à la nature?
- Comment articuler ce régime de responsabilité avec celui découlant de la directive 2004/35 du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale (et codifié aux articles L. 160-1 et s. du code de l’environnement)
Ces questions, d’une grande complexité, ont déjà fait couler beaucoup d’encre. En réaction à l’arrêt de la Cour de cassation, la ministre de l’environnement a déclaré qu’elle entendait intégrer la notion de préjudice écologique dans notre dispositif législatif. S’il nous parait impossible de répondre par la loi à la question du prix de la nature, les deux autres questions méritent sans doute un éclairage législatif.
> Arrêt n° 3439 du 25 septembre 2012 (10-82.938) de la Chambre criminelle