Par une décision du 28 juin, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de suspension immédiate et complète du réacteur nucléaire de Fessenheim.
Les requérants soutenaient qu’en dépit des diligences de l’ASN et d’EDF, le fonctionnement de la centrale nucléaire présentait des risques graves et imminents pour la sécurité, la santé et la salubrité publique ainsi que pour la protection de la nature et l’environnement.
Pour ce qui concerne les méthodes d’évaluation et de prise en compte des risques, les Conseil d’Etat juge que :
les « règles fondamentales de sûreté » que cette Autorité élabore, et qui sont progressivement remplacées par des « guides de l’Autorité de sûreté nucléaire », sont dépourvues de caractère impératif et s’il est loisible à l’exploitant de s’en écarter, cette circonstance ne saurait, à elle seule, permettre de caractériser l’existence d’un risque grave et immédiat dès lors que l’exploitant doit alors adopter des mesures d’effet équivalent assurant le respect des exigences de sûreté
Cette décision est importante en ce qu’elle tend à préciser la portée qui doit être donnée aux recommandations techniques produites par les diverses agences de sécurité nucléaire ou sanitaire (ex : ASN, IRSN, ANSES, InVS) dans leurs rapports publics. Plus généralement, elle explore les rapports entre le juge et la technique.
Comme leur nom l’indique, les recommandations ne sont pas contraignantes, mais elles ne sont pas pour autant dénuées de portée puisque le juge administratif vérifie leur caractère suffisant face à un risque donné. La recommandation reconnue comme adaptée doit faire l’objet d’un suivi de la part de l’agence publique. Si elle constate que ni ses recommandations ni des mesures d’effet équivalent ne sont mises en oeuvre par les opérateurs privés concernés, cela révèle une situation de risque grave et immédiat que l’agence publique et l’Etat sont tenus de prévenir.
Si en matière de sûreté nucléaire, le défaut de suivi des recommandations (à la lettre ou via des mesures d’effet équivalent) parait de nature à générer de facto un risque grave et immédiat, cela n’est pas forcément vrai de recommandations en matière de santé publique par exemple, lorsque le seuil de gravité n’est pas franchi.
Sous cette réserve, les agences de l’Etat et l’Etat lui-même voient ainsi leur rôle et leurs responsabilités accrues à la mesure du risque identifié et de l’exigence de leurs recommandations.
S’agissant du contrôle opéré par le juge, il faut souligner une instruction approfondie de la part du Conseil d’Etat. Une fois n’est pas coutume – mais pourrait le devenir – , il s’est emparé des questions techniques en organisant une « enquête à la barre » en application de l’article R. 623-1 du code de justice administrative.
Cette décision voit ainsi émerger l’analyse scientifique comme pilier du droit de l’environnement.
> CE 28 juin 2013, Association trinationale de protection nucléaire et autres, n° 351986, mentionné dans les tables du recueil Lebon
Commentaire du Professeur Potier à l’AJDA du 21 oct. 2013, p. 2036