Les conflits entre exploitants de méthaniseurs pour la captation des déchets méthanogènes sont fréquents et ils risquent d’augmenter à mesure que la filière se développe.
Le droit au bénéfice de l’obligation d’achat étant soumis à une attestation préfectorale (art.D.446-4 c. énergie), un exploitant concurrent peut être tenté d’attaquer cette attestation si elle inclut des déchets qu’il convoite ou qu’il exploite déjà, le cas échéant suivant un arrangement contractuel.
La question n’avait pas été jugée concernant les feu CODOA en matière d’éolien (certificat ouvrant droit à l’obligation d’achat). Dans un jugement du 2 mars 2023 devenu définitif (n° 2004989 et 2101250), le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que cette « attestation ouvrant droit à l’achat du biométhane produit » est une mesure préparatoire à la signature du contrat d’achat entre le fournisseur obligé et le producteur de biométhane. Elle n’est donc pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation et la requête du concurrent lésé est irrecevable.
On peut rapprocher ce jugement de la jurisprudence fermant le prétoire aux exploitants ICPE lorsqu’ils attaquent l’autorisation d’exploiter du concurrent sans motif autre que commercial (CE, 30 janv. 2013, Sté Nord Broyage, n° 347347 que nous avions mentionné ici).
Accessoirement, on peut aussi se demander si, dès lors, le concurrent peut attaquer directement le contrat d’achat du biométhane dans un recours dit « Tarn-et-Garonne ». Il peut sans doute tenter. Si le juge administratif, voire le tribunal des conflits, retient qu’il s’agit d’un contrat administratif*, il sera recevable, mais sa requête sera sans doute rejetée sur le fond.
Car parallèlement au recours contre l’ « attestation ouvrant droit à l’achat du biométhane produit », l’exploitant « lésé » a tenté une QPC intéressante, laquelle n’a cependant pas été jugée sérieuse, puis rejetée par le TA de Bordeaux (ordonnance du 8 novembre 2021, n° 2101250). Il soutenait que le biogaz transformé en électricité ou en chaleur par cogénération – celui qu’il exploitait – était placé dans un situation défavorable par rapport au biométhane injecté dans les réseaux et valorisé directement sous forme de gaz. Le principe d’égalité serait méconnu. En effet, alors que le préfet doit refuser l’attestation « lorsqu’un conflit d’usages sur la ressource est identifié » (annexe III de l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d’achat pour l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation, toujours en vigueur), ce contrôle n’existe pas en matière de biométhane injecté (cf. arrêté du 23 novembre 2020 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel, précédé par un arrêté du 23 novembre 2011 ayant le même objet).
Dans son ordonnance rejetant la demande de QPC, le président du TA retient que « les producteurs d’électricité et de biogaz sont dans des situations différentes, et l’objectif de favoriser la transition énergétique justifie au regard de la différence de rendement entre ces deux modes de valorisation des ressources méthanisables qu’une différence de traitement soit instituée. Par suite, la question ne présente pas un caractère sérieux« . Une justification intéressante et explicitée dans la PPE en vigueur : 94% de rendement pour la valorisation par injection dans les réseaux gaziers contre 35% pour la valorisation par production d’électricité. « Cet écart de rendement énergétique conduit à privilégier des valorisations alternatives à la production d’électricité, notamment l’injection dans les réseaux gaziers, lorsque cela est possible » (PPE 2019-2023 et 2014-2018, p. 103).
D’un point de vue pratique, on déduit de cet état du droit qu’il est prudent de s’assurer un accès exclusif à une ressource méthanogène donnée par la voie contractuelle!
>TA Bordeaux, 2 mars 2023, n° 2004989 et 2101250
>TA Bordeaux, Ordonnance du 8 nov. 2021, n° 2101250
* Contrairement aux contrats d’achat d’électricité (obligation d’achat, art. L.314-7 c. énergie; contrat de complément de rémunération, art. L.314-24), le législateur à oublié de préciser que le contrat d’achat de biométhane est un contrat administratif par détermination de la loi. Mais le juge ira sans doute dans le même sens, par analogie.