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Climat : le contrôle de la trajectoire appliqué aux projets individuels, une étape en souffrance

Charte, Contentieux, Jurisprudence

Le contrôle de la trajectoire a été inauguré par le fameux arrêt Grande-Synthe du Conseil d’Etat (CE 1 juillet 2021, n° 427301, Lebon). La haute juridiction a jugé illégal le refus du Président de la République et du gouvernement de prendre « toutes mesures utiles » pour infléchir la courbe des émissions de GES en France afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés au niveau national et européen. La carence du gouvernement n’était pas compatible avec la trajectoire imposée en la matière.

Dans un colloque tenu en mai 2021, le vice président du Conseil d’Etat Bruno Lasserre affirmait fièrement que:

« le Conseil d’Etat s’est adapté au temps de la lutte contre le changement climatique en inaugurant un nouveau type de contrôle, qu’on peut appeler « contrôle de la trajectoire ». Les objectifs inscrits dans le droit ont beau avoir des horizons lointains – 2030, 2040 voire 2050 – le juge ne peut pas attendre 10,20 ou 30 ans pour vérifier qu’ils ont été atteints, sauf à nier l’urgence qu’il y a à agir dès aujourd’hui, sauf à priver d’emblée son contrôle de tout effet utile compte tenu de la très forte inertie du climat. Le contrôle de la trajectoire s’apparente alors à un contrôle de conformité par anticipation, qui amène le juge à s’assurer, à la date à laquelle il statue, non pas que les objectifs ont été atteints, mais qu’ils pourront l’être, qu’ils sont en voie d’être atteints, qu’ils s’inscrivent dans une trajectoire crédible et vérifiable. »

A travers le contrôle de la trajectoire, nouvel avatar du contentieux climatique, le juge administratif détient peut-être le moyen de sauver le climat en adoptant enfin une vision sur le long terme.

Pourtant, quelques mois plus tard, dans un arrêt du 10 février 2022 ici évoqué, le même Conseil d’Etat censurait le juge des référés du tribunal administratif de Guyane. Par une ordonnance du 27 juillet 2021 (n° 2100957), ce dernier avait osé appliquer le contrôle de la trajectoire et suspendre l’autorisation environnementale délivrée à EDF pour l’exploitation de la centrale de Larivot, une centrale électrique de 120 MW fonctionnant… au fioul!

Ce faisant, le Conseil d’Etat a-t-il sonné le glas du contrôle de la trajectoire? Heureusement, non. Il s’en est fallu de peu car le rapporteur public Stéphane Hoynck s’est montré assez hostile à son égard :

« En dehors des cas où la législation en a décidé autrement, comme pour les autorisations de l’article L 311-5 [du code de l’énergie sur l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité], où l’on voit qu’une centralisation ministérielle est opérée, s’inscrire dans un contrôle de compatibilité nous parait donc impraticable et conduit à exiger du juge qu’il fasse des choix de priorité politique entre différentes options permettant d’atteindre les objectifs, c’est une démarche qui n’est pas fidèle à ce que vous avez commencé à construire avec les 2 décisions Grande Synthe. » (sans doute parce que le gouvernement est précisément en mesure de faire ces choix politiques, contrairement au secteur privé).

Pour sa part, une fois n’est pas coutume, le Conseil d’Etat a botté en touche en expliquant que le juge de Guyane a commis une erreur de droit dans la mesure où le contrôle de la trajectoire ne pouvait s’opérer qu’à l’encontre de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité, laquelle n’était pas contestée en l’espèce. C’est en effet dans ce cadre que le ministre chargé de l’énergie apprécie plusieurs critères, dont « l’impact de l’installation sur les objectifs de lutte contre l’aggravation de l’effet de serre » (cf. art. L.311-5 c. énergie). Ce critère n’est appréhendé par l’autorisation environnementale que dans le cas où elle tient lieu de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité (cf. art. L.181-3 c. env.), ce qui n’était pas le cas ici. D’où l’erreur de droit.

Cela étant, à travers son raisonnement, le juge laisse entendre qu’un contrôle de la trajectoire eut été possible en présence d’un recours contre l’autorisation d’exploiter du code de l’énergie. Faute de considérant de principe en ce sens, il est difficile de le dire avec certitude.

Il est vrai que pratiquer un contrôle de la trajectoire sur des autorisations individuelles est délicat car cela revient à rendre opposable à des demandes individuelles des objectifs nationaux de réduction des GES qui les dépassent plus ou moins. En 2011, la CJUE n’a pas voulu franchir le pas (cf. notre note ici) et elle ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis. Comme le dit le rapporteur public dans ses conclusions (que nous partageons ci-dessous), « aucun texte ne prévoit qu’une installation devant être autorisée devrait soit être neutre en terme d’émissions carbone soit comporter des mesures pour compenser une partie de ses émissions« .

A défaut d’un tel texte, il faudrait considérer que le devoir de chaque personne de prévenir les atteintes à l’environnement (art. 3 de la Charte de l’environnement) implique de respecter les trajectoires nationales. Une obligation qui s’applique, si ce n’est à chaque pétitionnaire, au moins à l’administration qui détient une vision d’ensemble qui lui permet, voire lui impose de prendre en compte les conséquences environnementales et climatiques des projets autorisés. C’est peu ou prou l’interprétation que vient justement de tenir le Conseil constitutionnel en censurant le prolongation automatique des concessions minières (Cons. const. 18 fév. 2022, décision n° 2021-971 QPC, FNE). En guise de base légale, outre l’article L.100-4 c. énergie, qui pose les objectifs de la politique énergétique nationale, on pourrait aussi mobiliser à cet effet le principe d’action préventive et de correction des atteintes à l’environnement, ainsi que le principe de non-regression (art. L. 110-1 c. env.).

Une autre stratégie pour contourner la difficulté a consisté à mettre en place, à partir du protocole de Kyoto de 1997, le système des quotas à effet de serre, avec des quota alloués individuellement et échangeables sur un marché. On sait cependant que ce mécanisme a échoué à cause d’un cours trop bas et d’un champ d’application trop restreint – deux sujets qui font l’objet de réformettes régulières. Il faudrait sans doute mettre fin à la possibilité d’acheter des quotas sur le marché quand une installation donnée émet trop de GES…

Toujours est-il, pour en revenir à l’affaire de la centrale de Larivot, que le Conseil d’Etat n’a pas enterré le contrôle de la trajectoire, contrairement aux apparences. Il a toutefois manqué une belle occasion d’apporter des précisions sur ce sujet crucial.

> CE 10 février 2022, n° 455465 (FNE c. Centrale de Larivot)

> Conclusions de S. Hoynck sous cet arrêt

> Cons. const. décision n° 2021-971 QPC, FNE