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Le Conseil constitutionnel consacre « la protection de l’environnement » comme « objectif de valeur constitutionnelle »

Charte, Jurisprudence

La loi dite « EGALIM » du 30 octobre 2018 (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable) a complété l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime de façon à interdire, à compter du 1er janvier 2022, la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement, conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009. Dit autrement, les pesticides et herbicides interdits sur le marché européen ne pourront plus être produits et vendus en France, et exportés à l’étranger.

A travers une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), les industriels de la protection des plantes et des semences soutenaient que l’interdiction d’exportation instaurée par ces dispositions était, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises productrices ou exportatrices, contraire à la liberté d’entreprendre (art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). De son côté, l’association FNE, intervenant à l’instance, soutenait que l’interdiction était proportionnée et justifiée par la Charte de l’environnement, en particulier son article 10 selon lequel « la présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »

Par une décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que cette interdiction était justifiée eu égard à l’ « objectif, de valeur constitutionnelle, de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains ».

Le Conseil constitutionnel retient deux fondements :

  • le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (intégrée à notre bloc de constitutionnalité), selon lequel la Nation « garantit à tous… la protection de la santé ». « Il en découle un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé« . [par. 5]
  • le Préambule de la Charte de l’environnement : « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel … l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins« . « Il en découle que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle. » [par. 4]

Sur la proportionnalité, le Conseil constitutionnel souligne d’abord qu’il n’a pas de pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. Aussi, il ne lui appartient pas de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances, les dispositions ainsi prises par le législateur [par. 9], ce dernier étant fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger [par. 6].

Après avoir constaté l’existence d’un lien entre l’interdiction et les objectifs de valeur constitutionnelle ainsi établis [par. 10], il observe que le législateur a laissé aux entreprises qui y seront soumises un délai d’un peu plus de trois pour adapter  leur activité [par. 12]. Puis il conclut :

Il résulte de tout ce qui précède que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d’entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.

Comme il le rappelle dans son commentaire, jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel n’a envisagé la protection de l’environnement que comme un objectif d’intérêt général. Cette décision marque une avancée significative puisqu’il consacre pour la première fois la protection de l’environnement comme un objectif de valeur constitutionnelle, au même titre que la protection de la santé publique (décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991).

Deux observations s’imposent. Premièrement, cela confère plus de droits au législateur. Si un objectif de valeur constitutionnelle ne constitue pas, sauf exception, des droits ou libertés invocables dans le cadre d’une QPC, il s’agit en revanche de normes sur le fondement desquelles le législateur peut apporter des restrictions à des droits ou libertés constitutionnels. Deuxièmement, l’objectif de protection de l’environnement revêt désormais une portée universelle: le législateur peut promouvoir cette protection partout sur la planète. Il pourra par exemple faire usage de ce pouvoir pour protéger le climat en France, mais également en dehors de nos frontières.

> Décision n° 2019-823 du 31 janvier 2020 – Union des industries de la protection des plantes