L’affaire de la « montagne sauvage de déchets » de Limeil-Brévannes a au moins eu le mérite d’apporter une importante clarification quant à la notion de transporteur de déchets et aux responsabilités de ce dernier. L’exploitant du centre de tri et de transit de déchets de chantiers, la société LGD développement, ayant été placé en redressement puis liquidation judiciaire, le préfet du Val-de-Marne était à la recherche d’un débiteur subsidiaire pour assurer l’élimination des déchets conformément au code de l’environnement. Cette problématique familière au droit des sites pollués se trouve ainsi posée dans le domaine des déchets.
Considérant que « les détenteurs sont successivement tous les intermédiaires de la chaîne d’élimination » au sens de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, il entendait demander à la société SOS Bennes, transporteur d’une partie des déchets stockés sur le site de Limeil-Brévannes, d’assurer leur élimination.
Dans son jugement du 5 février 2014 (n° 1202994/4, Sté SOS Bennes), le tribunal administratif de Melun considérait que le transporteur ne pouvait être qualifié de détenteur au sens de l’article L. 541-3 :
(…) le détenteur au sens de l’article L. 541-3 du code de l’environnement s’entend de la personne qui se trouve alors en possession des déchets; que le collecteur ou transporteur ayant remis ces déchets à un tiers ne peut, de ce fait, être mis en demeure par l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente d’assurer ou de faire assurer la gestion des déchet qui ne se trouvent pas en sa possession, même si sa responsabilité peut, par ailleurs, être engagée en raison des dommages résultant de la gestion des déchets qu’elle a transportés.
En se basant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 1er mars 2013, Sté Natiocrédimur et Finamur, n° 354188) le rapporteur public considérait que
cette qualification [de détenteur] est possible dans une situation unique et très précise. (…) Dans l’hypothèse où le transporteur ne remet pas les déchets et les abandonne sur un terrain, il nous semble qu’il faut encore, pour le reconnaitre comme détenteur, que celui qui est qualifié de détenteur ou de producteur et qui lui a remis les déchets à transporter ne soit pas identifiable ou solvable. En effet, une appréciation différente serait contraire à la position retenue dans l’arrêt SMIR (CE 13 juillet 2006, n° 281231) précité et aurait pour fâcheuse conséquence de modifier la définition jurisprudentielle du détenteur et des déchets.
Le tribunal n’a pas suivi le raisonnement du rapporteur public jusque là puisqu’à lire le jugement a contrario, le transporteur est bien détenteur des déchets au sens de l’article L. 541-3 jusqu’à ce qu’il remette ces derniers à l’opérateur chargé de leur élimination, sans qu’il faille distinguer selon que le producteur initial existe ou est solvable.
Il faut en effet se rappeler que l’article L. 541-4, visiblement inspiré par l’article 1384 du code civil (sur la responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde), prévoit que
les dispositions du présent chapitre (chapitre Ier : prévention et gestion des déchets du titre IV du code) ne font pas échec à la responsabilité que toute personne encourt en raison des dommages causés à autrui, notamment du fait de la gestion des déchets qu’elle a détenus ou transportés ou provenant de produits qu’elle a fabriqués.
Ce jugement parait raisonnable dans la mesure où le transporteur n’a pas fauté dans la mise en oeuvre de sa mission de transporteur des déchets. Il reste que le transporteur est bien détenteur tant qu’il se trouve en possession des déchets.
Autre enseignement de ce jugement : dès lors que la gestion des déchets est confiée à l’ADEME (en vertu du V de l’article L. 541-3),
le préfet ne peut plus mettre en demeure les détenteurs antérieurs de ces déchets, qui ne pouvaient plus être regardés comme abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du code de l’environnement relatives à la prévention et à la gestion des déchets, d’assurer ou de faire assurer la gestion de ces mêmes déchets.
> TA Melun, 5 février 2014, n° 1202994/4, Sté SOS Bennes : JurisData n° 2014-016021 et Revue LexisNexis Environnement et Développement durable Août-Septembre 2014, p. 25.